Lecture |
« Un dessin peut être sec et donner une impression de vie, de chair. Quand tu dessines, tu dois dessécher, ossifier les choses pour retrouver une sensualité nouvelle. Tu dois, au fond, retarder, réduire tout ce qui est de l’ordre d’un plaisir immédiat pour parvenir à une simplification porteuse d’une sensualité « dégraissée ». […] Le dessin est important pour moi parce qu’il me permet d’amener les choses à un néant, un point zéro, un silence à partir duquel on peut repartir. […] La glaciation, le figement, l’ossification sont des moments éminemment tristes, mais essentiels et nécessaires pour réautoriser une parole. J’ai besoin de faire mourir tous les éléments par le dessin pour, ensuite, rouvrir le tout. […] L’invention du cerne par la bande dessinée est une chose formidable. Rien qu’avec le cerne, je peux donner à mes figures les expressions que l’on veut : tristesse, gaieté, étonnement, etc. »
(Alain Séchas, dans L’Humour de l’art)
Atelier | sols&murs 4.2
Des pavés plus ou moins rectangulaires, plus ou moins réguliers, formant une rigole, des pierres informes de part et d’autre, la voie en nuances vert de gris, sauf les joints plus sombres, sauf la ligne centrale, plus creuse, plus droite, une découpe dans laquelle se dresse, ici et là, de petits brins d’herbe folle, et contre les murs, de pierre de tailles rénovées, de crépi en lambeaux, de l’aplat écru aux taches anthracites entre lichens et mousses — au pied des murs quelques plates-bandes pour des plantes, des buissons, des arbustes, pas de fleurs. Plus bas, un arbre, un if je crois, a pris racine dans le mur.
Sur la porte vitrée, le nom du journal en lettres majuscules blanches. Au sol, un tapis gris foncé, chiné, sur des carreaux blancs. Des carreaux ni grands ni petits. Sensiblement de la même largeur que les lattes en bois, ou en pvc imitation bois, blanches, qui recouvrent les murs. La secrétaire ne sort pas la tête de ses écrans. Il y a une plante verte sous un escalier en colimaçon. On entend une chasse d’eau.
Il fait si sombre que les dalles ne forment plus qu’un sol d’ombre. La lumière de quelques petits projecteurs, trop loin, n’éclaire jamais que la voûte du plafond, les vitraux et les piliers. Sur celui qui se dresse devant moi, une feuille scotchée sur laquelle on lit : Il est très possible que, en cette église, vous entendiez l’appel de Dieu… En revanche, il est très improbable qu’il vous contacte par téléphone !
Dans le sas d’attente des Fossés, sur une petite chaise noire, les carreaux gris foncé du sol, une ou deux petites trainées blanches sur chacun, le pan de mur bleu, en face, d’un bleu intense, roi, les plinthes blanches, un plan d’évacuation.
Un couloir de terre battue en pente douce entre des murs de pierres grises, vertes, vraiment noires par endroits, recouvertes d’inscriptions gravées, écrites, peintes, des petites, des blanches, BOU, des signes, un point rouge, des grandes, des tags, des mots, des noires, des insultes, des biffures, des histoires, ni dieu ni maître, un cœur, au blanco, des autocollants, majuscules pleines, des vides, des prénoms, une grande croix bleue, dream garden.
|| Banane mur | 7, etc.
Ma lecture ne serait pas complète — et elle ne le sera pas, c’est impossible —, sans une lecture concernant plus directement l’œuvre de Cattelan. Pas spécialement au sujet de Comedian, mais à propos de l’œuvre en général pour apercevoir le mouvement artistique plus large dans lequel le geste polémique du moment s’inscrit. Et pourquoi pas avec l’extrait d’une petite analyse — Cattelan est loin d’être le seul à faire dans le ready-made — parue il y a un quart de siècle dans Artpress, au moment où Cattelan n’était pas encore connu ? David Perreau, dans le no 283 du magazine paru en mars 1998, écrit ainsi :
« Cattelan est un provocateur, un empêcheur de tourner en rond qui agit sans jamais laisser de place à la complaisance. Anti-politiquement correctes, ses œuvres sont celles qui répondent toutes de façon imprévisible et critique, ironique et violente, aux contextes qui les accueillent. Ses œuvres sont des événements sismographiques qui désignent de manière ambiguë et souvent absurde les modèles économiques, policiers et idéologiques qui organisent le monde (artistique, social). […]
Les œuvres de Cattelan fonctionnent comme des questions sournoises, plus dangereuses pour celui qui cherche à y répondre que pour l’artiste qui les pose. Elles sont celles qui agissent dans les interstices et les failles. Et qui réactivent génialement les conflits que la société du spectacle contribue à neutraliser, à étouffer, puis à annuler. Sa pratique se définit par le grotesque de récits liés à une époque de plus en plus suspecte. Cattelan est l’un des rares artistes à proposer aujourd’hui des outils réellement opératoires pour y faire face. »
(De là, il n’est pas interdit de penser qu’ "arroser" une banane scotchée sur un mur à coups de millions, et en faire son "buzz", soit une façon abjecte, digne sans doute des républiques dites "bananières", de neutraliser, d’étouffer, d’annuler, la voix artistique de Cattelan. Je ne saurais donc trop lui conseiller de fuir, de nouveau, comme il l’a fait en 1992 au château de Rivara à l’occasion de sa première exposition thématique.) ||
(Parfois, comme ce soir, le sentiment de solitude et de vide te rattrape.)
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