Structure |
Dans ses jeunes années, notre directeur a travaillé pour une radio de « jeunes », dans une émission qu’il animait en se faisant passer pour un « jeune » qui appelait la radio parce que plus personne n’appelait, en fait, et il fallait faire tourner la parole jusqu’au prochain tube ou jusqu’à la prochaine pub. Il se faisait passer pour quelqu’un d’autre, et sûrement pour ce qu’il n’était pas. Un travail d’acteur, en somme.
Aujourd’hui directeur d’association œuvrant dans les services de l’insertion sociale et de la formation professionnelle (grosso modo ; même si je ne me retrouve pas précisément là), il anime les réunions d’équipe avec un ordre du jour dans lequel se glissent, systématiquement, des mots de techniques managériales (a priori ; des anglicismes qui ont le don d’agacer notre Anglaise Helen). Dernièrement, le « sourcing des demandeurs d’emploi ».
— Mais what ! ça sort d’où ça… Helen, can you explain, please… ?
— Oh mais noun ! moi je compwends yien à son fwanglais…
En français sourçage, il s’agit d’abord dans le cadre précis de gestion des ressources humaines, selon Open Sourcing, d’ « un processus de recherche pour le recrutement [qui] a pour objectif d’identifier des profils précis répondant à une liste de critères de sélection pour un poste professionnel donné ». Ou, pour Culture-rh : « Sourcer c’est aller dénicher de nouveaux talents : les attirer et les convaincre de postuler dans notre entreprise. »
— Mais non… c’est pas ce qu’il voulait dire, les demandeurs d’emploi on va pas les engager… pour nous, c’est notre vivier, c’est la matière même qu’on travaille… si on leur donne du travail, nous, on en a plus… on peut aller pointer à France Travail…
Et Talentview nous apprend que l’opération « intervient au tout début du processus de recrutement, avant les entretiens, et consiste à partir à la recherche de candidats déclarés sur le marché de l’emploi via les outils de recherche digitaux notamment (jobboards, CVthèques, etc.) ».
— Non, mais c’est les entreprises partenaires qui pourraient les recruter, nous on fait office d’intermédiaire… comme le Mercato de l’emploi quoi…
— Ah ben… si on marche sur leurs plates-bandes…
— Chut… je comprends pas ce qu’il dit…
Sinon, Wikipédia nous apprend aussi, en s’appuyant sur Acheteurs-publics, que « le mot sourcing est employé dans le monde des affaires pour qualifier l’acte qui vise à réduire le coût général des achats », et que cela « peut consister à laisser une entreprise autre que la sienne gérer la partie achat dans un pays autre que le sien, ainsi que toutes les activités qui en découlent (négociation des prix, suivi et contrôle de la marchandise, logistique de transport et de dédouanement, gestion du service après-vente) ».
— Ah ouais… tu réduis les coûts en faisant bosser les autres… et qu’est-ce qu’on fait nous après…
— Non mais t’inquiète, ça c’est pas pour nous, on est pas des commerciaux, heureusement…
— Et on a surtout pas les moyens… sinon, on les emploierait les demandeurs d’emploi…
— Ben voilà ! pourquoi on ferait pas ça ? sous prétexte de programme de formation, ça devrait passer…
— Ça c’est du prélèvement à la source…
— Chut… on entend plus rien… !
|| Quelques moignons de mur 4
Je suis une créature
Comme cette pierre
du Saint Michel
aussi froides
aussi dures
aussi sèches
aussi réfractaires
aussi totalement
inanimées
Comme cette pierre
sont les larmes
qui ne se voient pas
La mort
s’escompte
en vivant
Valloncello di Cima Quattro, 5 août 1916 ||
« et, justement, pas seulement des métiers, mais des passions exercées en métiers, ou des métiers exercés par passion, chacun et chacune dans leur domaine, et de cette incroyable, mais réellement incroyable richesse qu’il y a, en particulier en France, ce qu’on appelle « le savoir-faire », mais que j’appelle essentiellement le travail de l’excellence, ou, tout simplement le travail fait pour la chose faite, laquelle a ses propres exigences, – la maîtrise du geste, la maîtrise du matériau, et, du coup, quand on le regarde, l’incroyable noblesse dont nous sommes les destinataires, à défaut d’être les témoins d’une autre sorte de sacré : le sacré du travail, le sacré, tout bêtement (Pouchkine disait « la poésie doit être un peu bébête »), de la beauté des choses, et de la façon dont cette beauté que nous voyons, dont nous jouissons, ne nous appartient pas du tout : nous n’en sommes que les dépositaires, elle nous est confiée – non pas par une puissance divine (ou appelons cela « puissance divine » si nous voulons), mais par la force de l’histoire et de la durée, par ce qui est de l’ordre non pas du tout des « racines » (chrétiennes ou pas) mais, tout bêtement, de la succession des générations qui font de l’être humain un être humain non seulement un métier, mais la beauté du métier, – enseigner le métier comme un accomplissement et pas comme une déchéance le travail – pas seulement le geste technique, mais le geste… »
Laisser un commentaire