|| Quelques moignons de mur 3
Je n’avais rien vu au premier coup d’œil, mais entre les murs en ruines de San Martino del Carso, on aperçoit une silhouette. Une petite silhouette sur le chemin, au bout du chemin. Pas un homme de loin. L’ombre est trop ramassée. Plutôt un enfant. Un enfant qui semble arrêté, qui se tient droit sur ses jambes légèrement écartées. Comme si on le voyait de dos. Avec le bras gauche relevé, à mi-hauteur, horizontal. — On imagine alors, bêtement, la posture de trois-quarts du cow-boy qui vient de dégainer son flingue dans un duel. Il est revenu se venger ?
Mais ça, en première lecture. Aidé d’un gros plan, il apparaît aussi que, peut-être, en fait, on l’aperçoit de face. Et alors, non, il n’est plus immobile. Ce trois-quarts de dos serait en réalité un pas. L’enfant avancerait sur le chemin. Il sortirait des ruines. Il viendrait vers le photographe, le rejoindrait à l’autre bout du chemin. — Et nous avec. Il ne sera plus seul.
Mais peut-être ne l’est-il pas ? Le gros plan semble aussi indiquer, là, le long du chemin, une autre présence. Une autre silhouette humaine, fantomatique dans le blanc des ruines sur un fond noir absorbant la tête. Et devant elle, peut-être, un animal à la tête noire. Et même, derrière, mais si flottantes, si ruinées, si fantasmatiques dans le plan toujours plus grossi, d’autres silhouettes humaines. D’autres têtes, qui ne sont jamais que de simples contrastes de noir et de blanc, de simples taches invisibles à l’œil nu. — Et pourtant, jouant de la focalisation, d’une échelle à l’autre l’animal disparaît et c’est finalement une dizaine de personnes que je vois là, sur le bord du chemin, debout ou assises par terre, sur les ruines dans lesquelles elles se fondent. ||
Atelier | roman maison 3.4
Et pour les bouffes entre potes, on recommence : une phrase d’un seul tenant, au présent, sans majuscule ni point, car j’ai l’impression qu’il s’agit d’un monologue, intérieur ou non, je n’en sais rien (hormis que tout se passe dans ma tête — enfin je crois) :
parce que pour les bouffes entre potes, une table, celle de la cuisine, de la salle à manger, du jardin, ou une de camping, ou la table basse dans le salon, voire le bureau, ou les tables de chevet quand la soirée bascule, et tu sais pas où tu tombes, ou un simple coffre de voiture, même une fois une brouette, une planche de surf, un conteneur poubelle, un tronc d’arbre abattu, la fois où on s’est perdu en forêt en allant aux champignons, un rocher… bref ! une table ou ce qui peut en faire office et de quoi s’asseoir, mais ça on trouve toujours, suffit de poser son cul par terre et de lever les genoux pour caler l’assiette, et y en a toujours des comme ça, y en a chaque fois deux ou trois qui se barrent comme ça, dans la nature, le verre et l’assiette à la main, tout juste éclairé par la lune, tu les revois pas pendant un bout de temps, et le temps d’aller pisser tu les retrouves attablés comme s’ils avaient jamais bougé, et même ils se plaignent de t’attendre… bref ! la table du moment, on dépose tout dessus, et y en a dix fois trop, à chaque fois on en achète trop, on en fait trop, et ça doit être parce qu’on se dit rien, niveau concertation de qui fait quoi, c’est plutôt à celui qu’en dira le moins, on sait qu’on doit apporter un truc, mais tu comptes toujours pour six ou huit, et six ou huit par six ou huit, forcément, y a des restes, après, c’est vrai que y en a qui mangent plutôt liquide, ils se gavent de bretzels et de cacahuètes, et d’autant de verres qui les font basculer va savoir où, à finir vite le cul par terre en tout cas… mais bon, bref ! y a trop à bouffer et, résultat, le lendemain, qu’est-ce qu’on retrouve entre les cadavres de bouteilles, les gobelets, les assiettes et les couverts en plastique ? sur la table, et souvent par terre ? ben ton reste de cacahuètes et de bretzels brisés, les noix de cajou, les croustilles, des chips en miettes, le bol entier des bâtonnets de concombre, je sais pas pourquoi on en prend, ça se mange pas vraiment, les bâtonnets de carottes plus et tomates cerises, ça passe bien avec un peu de mayo, le mieux c’est une petite sauce blanche, mais c’est rare, et puis les sauces, ça coule et ça se renverse, quand y en a pas un pour t’en foutre dans le nez ou dans l’œil, c’est ça aussi, tu sais pas comment ça commence, et t’es pas tranquille pour bouffer, ça doit être pour ça que les autres se sont barrés la dernière fois, ils ont dû sentir le coup venir, pas comme moi, avec ma salade et mon rôti qui ont fini en chabrot, les cons, en plus c’était une bonne bouteille… bref ! tout ce qui reste, et tout ce qui part, direction la poubelle, la coupelle encore pleine d’olives mélangées à des noyaux et ça finit en cendrier, les petits toasts de pain de mie resté toute la nuit dehors, et c’est de la bouillie en rosée, les rondelles d’œufs par terre, les tranches de pain trouée parce que l’autre aime pas la croûte, du pâté ou des rillettes qui tiennent pas sur le couteau, des dés de cake au jambon, des parts de quiche, de pizzas aux fromages, les bouts de gras de jambon, ou de rôti de porc, qui traînent, comme la peau des rondelles de saucisson, et ça je sais pas mais t’en retrouves partout, ça le saucisson il en reste pas, mais les peaux, ça peut même finir dans ton lit, avec des petites portions de Vache-qui-rit, les bourrins, et puis des bouts de merguez et de ventrèche piétinés, des morceaux de la salade de patates écrasés, des grains de riz, des pâtes, le cake au citron effrité, de toute façon il était trop cuit, la pomme de la tarte en compote, des petits pots moitié plein de glace fondue, et les emballages, tous les papiers dispersés, des papiers en plastique, les papiers absorbants, les papiers alu, les papier film, du papier journal aussi, tu sais pas ce qu’il y avait dedans, et tous ces petits papiers colorés, dispersés, envolés, et t’es content de faire le ménage, parce que c’est aussi, tu sais bien, et ça, moins drôle, faire la fête oui, faire la bouffe ça passe, mais le ménage, quand faut faire place nette sinon ça va gueuler, ça va coûter, alors ça aussi même si ça a l’air de rien, d’aller à la chasse au papier dans tous les coins de la salle des fêtes, du hangar, d’un garage, au fond du jardin, sur la terrasse, et le bordel dans la maison, jusque dans les chambres, merde, et la cuisine qui doit être nickel, sauf que le carrelage neuf en a pris un coup quand l’autre s’est retrouvé par terre et le cul de la bouteille a explosé, le carreau avec, juste un éclat heureusement, mais la bouteille, les petits bouts de verre partout, et le vin, un cru bourgeois en plus, pour une fois, qu’on avait piqué dans la cave, et je me souviens que ça gueulait à cause de ça, que ça se faisait pas, mais l’autre voulait rien savoir parce que des bouteilles y en avait plein d’autres et que c’est pas pour une, que ça se verra même pas… bref ! y en avait partout sur le carrelage, du vin, et ça avait sauté sur les plinthes en inox, sur les portes de placards, la porte-fenêtre, le mur, les pieds des chaises et de la table, mes pompes, et la serpillière introuvable, combien de papier essuie-tout il a fallu avant de dégager vite fait ? tu parles d’une soirée entre potes
(Stop ! — Pas d’inquiétude, c’est comme en dessin, juste une esquisse. — Ben surtout change rien, ne développe pas.)
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