Atelier | roman maison 3.3
Les bouffes entre potes, c’était toujours le même dispositif. Une table — de cuisine, de salon, de jardin, de camping, ou la basse dans le salon, voire le bureau, les tables de chevet quand la soirée basculait, ou un simple coffre de voiture, une fois une brouette, une planche de surf, un conteneur poubelle, un tronc d’arbre abattu —, de quoi s’asseoir — on trouve toujours —, et on déposait ce qu’on avait apporté sur la table ou ce qui en faisait office. On mangeait surtout liquide, mais rien ne manquait. Le lendemain, entre les cadavres de bouteilles, les gobelets, les assiettes et les couverts en plastique, on retrouvait sur la table, et souvent par terre, des cacahuètes et des noix de cajou, des croustilles, des bretzels brisés, des chips en miettes, des tomates cerise, des bâtonnets de carottes et de concombres dans une assiette aspergée de vin, des olives et surtout des noyaux dans le verre cendrier, des toasts de pain de mie, des traces de mayonnaise, des rondelles d’œufs en bouillie, des tranches de pain trouée, du pâté, des rillettes tombées du couteau, des dés de cake au jambon, de quiche, des parts de pizzas aux fromages, le gras du rôti de porc dans les assiettes, parfois de bœuf, du jambon sec, des rondelles de saucisson piétinées, des bouts de merguez et de ventrèche plein de cendre, des morceaux de pommes de terre bouillie, des grains de riz, des pâtes, de la pomme écrasée dans sa pâte, du cake au citron effrité, de la glace, et des emballages, du papier aluminium, du papier film, et d’autres petits papiers aux inscriptions colorées dispersés, envolés.
|| Quelques moignons de mur 2
C’est un poème sur un bloc de mur. Un des premiers poèmes de Giuseppe Ungaretti écrit en 1916. Il s’intitule « San Martino del Carso », du nom d’un village au nord-est de l’Italie, entouré de bois, non loin de la frontière. On peut le lire dans le premier recueil du poète Il Porto sepolto (Le Port enterré) — ou Vie d’un homme. On le lit aussi à San Martino del Carso même. On le lit sur une stèle située à un carrefour. Une croisée de chemins resserrée, comme un X élancé. Une grande inconnue ? On le lit à côté d’un stop, au pied d’une vierge. Un poème sur une stèle, une pierre. Comme un reste de mur. C’est un poème qui fait ce qu’il dit, en somme, qui fait ce qu’il écrit. Un poème qui fait ce qu’il vit. Et ce qu’il peut, entre la vie et la mort, entre les mots et les vers. Pour et sur un brandello de mur branlant, tombé. Une ruine à travers le temps. Un signal ? On arrive, on s’arrête. Un œil à droite, un autre à gauche, la voie est libre. Un temps d’arrêt sur la vierge, la stèle, le poème (un bouquet, peut-être). On vient de tomber dans le panneau. La voix aussi est libre ? ||
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